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Le bitcoin, une illusion dangereuse?

Le bitcoin, qui séduit malgré sa volatilité, fait le jeu du crime organisé.

Peut-être est-ce parce que nous sommes d’une génération trop âgée, peut-être est-ce parce que nous n’y entendons rien à la technologie, peut-être encore est-ce parce que nous sommes conditionnés par ce qui s’enseigne à l’université, mais toujours est-il que, pour peu que nous puissions avoir un avis sur le bitcoin et les autres cryptoactifs de ce type, celui-ci sera sévère. Nous pourrions nous satisfaire de ne pas comprendre l’engouement que ces derniers suscitent, mais, à dire vrai, ce succès nous inquiète, et cela à plus d’un titre.

Commençons par deux arguments qui apparaîtrons mineurs. Le premier est que le bitcoin incarne l’argent facile et déconnecté d’une valeur ajoutée, avec un effet délétère sur le sens de l’effort. Que celle qui met au point un nouveau médicament, un nouveau procédé industriel ou une nouvelle boisson gagne rapidement beaucoup d’argent peut déranger certains, mais il y a eu prise de risque et satisfaction des acheteurs. Quand c’est la sportive ou la chanteuse qui gagne un pont d’or, là encore, on peut penser qu’il y a eu effort, d’une part, plaisir donné aux spectateurs, d’autre part. Il n’en va pas de même avec le bitcoin.

Le deuxième est la promotion d’une idée simpliste, à savoir que si le bitcoin est cher, c’est parce qu’il est rare. Non, la rareté ne fait pas la valeur. Certes, les tableaux de Vermeer sont rares et chers mais nos dessins d’enfant sont aussi rares, nos parents – à raison – ne les ayant pas accumulés avec ceux de nos frères et sœurs, et pourtant ils ne valent vraiment pas grand-chose ! Le marché de l’art est révélateur. Certes, il arrive qu’à la mort d’un créateur la cote de ses œuvres monte puisqu’il n’en produira plus, mais la rareté de l’offre n’est rien si, en regard, il n’y a pas une demande durable.

Puis viennent des arguments plus directement porteurs, et nous en évoquerons trois. Par les temps plus que troublés que nous traversons, il est fréquemment fait référence au contrôle prudentiel exercé par les banques centrales. Ainsi, ces jours-ci, avec les tumultes boursiers et obligataires, on se réjouit que la BNB, la Banque nationale de Belgique, et la BCE veillent au grain afin de garantir la stabilité financière. Aux Etats-Unis, la Federal Reserve est là pour chercher à prévenir à la fois une résurgence de l’inflation et une entrée en récession. Les banques centrales sont au service de l’intérêt général. On l’a vu en 2008, au moment de la Grande Crise Financière. On l’a vu en 2012, quand la BCE de M. Draghi a sauvé l’Union monétaire européenne avec son « quoi qu’il en coûte ». On l’a encore vu en 2020 au moment de la Covid. Or, qu’avancent les propagandistes du bitcoin si ce n’est que ce dernier permet de s’affranchir des banques centrales ? Voilà de l’enfantillage dangereux ! Nous avons terriblement besoin des banques centrales. S’en priver rendrait la réponse coordonnée aux chocs et aux crises tellement compliquée qu’elle en deviendrait impossible. Certes, les Banques centrales ne sont pas omniscientes, leur erreur de diagnostic sur le retour de l’inflation en 2021 et 2022 en est le reflet, mais, sans elles, notre instrumentarium serait bien vide, et d’autant plus que l’arsenal budgétaire est tout sauf bien garni.

Ce n’est pas tout. Le bitcoin est un instrument de paiement largement inefficace. D’un moyen de transaction, on attend une liquidité instantanée. Avec le bitcoin, on est loin du compte. D’un moyen de transaction, on ne s’attend pas à ce qu’il consomme de l’énergie comme le fait le bitcoin. D’un moyen de transaction, et même s’il est des faux-monnayeurs et s’il y a eu, avant eux, du rognage de pièces métalliques, on ne s’attend pas à ce qu’il puisse souffrir d’une panne informatique ou d’une cyberattaque, avec vol à la clef comme ce fut récemment le cas avec un détournement associé à la Corée du Nord.

Enfin, le bitcoin facilite la fraude et la corruption. Bien sûr, des billets de banque peuvent financer eux aussi de tels méfaits, mais avec les cryptoactifs, on simplifie outrageusement la vie de ceux qu’il faut combattre. Il y a le cas paroxystique des deux « actifs », le TRUMP et le MELANIA, créés par l’hôte de la Maison Blanche, et dont les souscripteurs ne cherchent qu’à obtenir, en échange de leur mise de fonds, un traitement de faveur du Président, voire une grâce présidentielle. Plus largement, l’usage des cryptoactifs en général, dont le bitcoin, dans les trafics, notamment de drogue et d’influence, menace nos sociétés. Ce qui est présenté comme ce qui est le plus aisément traçable est en fait le moyen de paiement de prédilection des trafiquants. « Coin » en anglais signifie « pièce de monnaie », mais laissons-la dans le coin. Le bitcoin n’est ni une monnaie, ni un actif financier, et il subira le sort des tulipes hollandaises au XVIIème siècle.


Etienne de Callataÿ et Alain Siaens

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