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Visite fiscale. Un instrument fiscal puissant avec des limites! Bref apercu de la jurisprudence.

Le consentement comme clé d’accès : la Cour de cassation et la visite fiscale

La visite fiscale est un instrument d’enquête puissant, mais elle ne constitue pas un blanc-seing. Une jurisprudence récente de la Cour de cassation et de la cour d’appel de Gand confirme et affine les contours de ce moyen de contrôle. Le message central ? Sans consentement valable, informé et maintenu du contribuable, toute visite est juridiquement bâtie sur du sable mouvant. Même la doctrine Antigoon n’offre alors aucun ultime recours.

La règle de base : le consentement est essentiel et doit être maintenu

La Cour de cassation a confirmé que les fonctionnaires fiscaux n’obtiennent l’accès aux locaux d’habitation ou professionnels qu’à la condition d’un consentement préalable du contribuable.¹ Il est crucial que ce consentement reste valable pendant toute la durée de la visite. S’il est retiré, la visite doit immédiatement cesser. Un contribuable peut, à tout moment de la visite, retirer son consentement. Une autorisation du juge de police n’y change rien : elle autorise uniquement la visite, mais ne supprime pas l’exigence de consentement.

Affinement de la jurisprudence de cassation : le consentement doit être donné « en connaissance de cause »

Dans une affaire où l’administration fiscale se fondait sur un consentement obtenu par téléphone pour un contrôle classique des livres (art. 315 CIR 92 et 61 CTVA), la Cour de cassation a jugé que cet accord ne suffisait pas pour une visite fiscale (art. 319 CIR 92 et 63 CTVA).² Le contribuable doit savoir à quoi il consent. Le consentement doit donc être spécifique et informé, et ne peut être confondu avec les pouvoirs de contrôle moins intrusifs d’un contrôle des livres.

Gand, 4 février 2025 : pas de portes dérobées — au sens propre comme au figuré

La cour d’appel de Gand est allée un pas plus loin.³ Dans une affaire où la BBI est entrée dans un entrepôt par un portillon latéral ouvert et a ensuite copié des données numériques sans consentement valable, la cour a jugé la visite irrégulière. Le consentement n’a été obtenu qu’ultérieurement, et en outre d’un membre du personnel dépourvu de compétence. La cour a souligné que :

  • l’administration fiscale doit se présenter à l’entrée principale ;
  • le consentement doit être donné au préalable ;
  • ce consentement doit émaner d’un représentant compétent ;
  • et l’administration ne peut pas simplement procéder elle-même à des copies numériques.

La cour a également écarté explicitement l’application de la doctrine Antigoon, eu égard à la violation de normes supérieures telles que le droit au respect de la vie privée et les principes de bonne administration.

Doctrine Antigoon : pas de filet de sécurité en cas d’irrégularités graves

La Cour de cassation a confirmé que la preuve obtenue de manière irrégulière n’est pas automatiquement écartée,⁴ sauf si :

  • une norme a été violée à peine de nullité ;
  • la fiabilité de la preuve est compromise ;
  • ou l’utilisation de cette preuve est contraire au droit à un procès équitable.

Dans les dossiers de visite sans consentement valable, ces trois conditions sont souvent réunies. La cour de Gand a en outre relevé, en se référant à une jurisprudence antérieure de la Cour constitutionnelle,⁵ la « négligence grave » de l’administration fiscale et a considéré que l’usage de la preuve était « en toutes circonstances inacceptable ».

Implications pratiques pour les contribuables

Préparation à un contrôle :

  • Élaborez une politique interne d’accès : seules des personnes compétentes (par exemple, l’administrateur et/ou le conseil) peuvent donner leur consentement. Il est utile d’intégrer cette règle dans le règlement de travail.
  • Placez des instructions claires à l’entrée.

À l’arrivée de l’administration fiscale :

  • Demandez l’identité, la mission, la base légale et l’éventuelle autorisation judiciaire.
  • Ne donnez un consentement explicite que par l’intermédiaire d’une personne compétente.
  • Documentez tout.
  • Contactez votre avocat.

En cas de retrait du consentement :

  • Soyez clair et formel : « Je retire mon consentement. »
  • Notez l’heure, les témoins, et demandez que cette mention soit reprise dans le procès-verbal.

Stratégie procédurale : comment plaider l’exclusion de la preuve et la nullité

Une stratégie procédurale réfléchie est essentielle pour contester une preuve obtenue irrégulièrement. En premier lieu, il convient d’invoquer l’article 15 de la Constitution, combiné à la jurisprudence de la Cour de cassation relative à l’exigence de consentement. Il est alors crucial d’analyser minutieusement les faits : de quelle manière l’accès aux données ou aux locaux a-t-il été obtenu, qui a donné le consentement, et cette personne en avait-elle la compétence ?

Si le moyen principal ne suffit pas, le test Antigoon peut être invoqué à titre subsidiaire. Il s’agit alors de démontrer que la preuve est peu fiable, que le droit à un procès équitable a été violé ou que l’ingérence était disproportionnée. Enfin, la jurisprudence de la cour de Gand peut être mobilisée comme argumentation complémentaire. Cette ligne jurisprudentielle rejette l’utilisation d’une porte dérobée, n’admet pas le consentement implicite et refuse que la doctrine Antigoon soit utilisée comme ultime recours pour couvrir des irrégularités.

Conclusion

Il n’y a pas de place pour les « cowboys » lors d’une visite fiscale : l’administration doit respecter strictement les règles. La jurisprudence récente confirme que le consentement demeure le gardien du seuil et qu’il doit être informé, donné par une personne compétente et maintenu. À défaut de ce fondement, la visite est irrégulière, la preuve inutilisable et l’imposition nulle. Même la doctrine Antigoon ne peut alors sauver une visite fondamentalement viciée.


Jacques Malherbe
Professeur émérite UCLouvain
Avocat (Simont Braun)

Rik Strauven
Chercheur doctorant Université de Lausanne
Avocat (Simont Braun)

___________

¹ HvC, 16 juin 2023, F.21.0181.N & F.21.0187.N
² HvC, 3 octobre 2024, F.21.0182.F
³ C. app. Gand, 4 février 2025, 2024/AR/857
⁴ HvC, 19 juin 2025, F.23.0037.F
⁵ C. const., 12 octobre 2017, n° 116/2017

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