• FR
  • NL
  • EN

Déficit, dépenses, fiscalité: les économistes débattent face au mur budgétaire belge

Introduction : Le grand débat économique au cœur d'oFFFcourse

Dans le cadre exceptionnel du Congrès des experts-comptables et du salon AVEC, la plateforme oFFFcourse a offert une série de débats de haut vol sur les grands enjeux qui façonnent l'avenir de la Belgique. Loin des slogans politiques, ces émissions ont réuni des économistes aux sensibilités distinctes – Etienne de Callataÿ, Philippe Defeyt et Rudy Aernoudt – pour une analyse sans concession de la situation budgétaire du pays. L'enjeu était clair : décrypter la gravité réelle du déficit, évaluer les leviers d'action entre coupes dans les dépenses et réformes fiscales, et identifier les conséquences directes pour les entreprises et les professions du chiffre.

1. Un diagnostic sans appel : une bombe à retardement déjà amorcée ?

Le consensus sur le plateau est immédiat : la situation budgétaire belge est « très grave ». Si le pays a connu pire, le contexte actuel est inédit. Étienne de Callataÿ souligne que ce déficit n'est justifié par aucune crise aiguë. « Dans une perspective de ce qu'il est normal d'attendre en termes de recettes, de dépenses, d'évolution de l'activité économique, un tel déficit ne se justifie pas », analyse-t-il.

Cette situation crée une dépendance risquée vis-à-vis des marchés financiers. Rudy Aernoudt met en garde : « Si l'intérêt augmente de 1%, ça nous coûte 6 milliards ». Pour Étienne de Callataÿ, se reposer sur la bienveillance des marchés est une illusion. « Avoir une dette, c'est se rendre [...] dépendant de ce que l'agence de notation, ces vilains et méchants capitalistes, vont penser à tort ou à raison de vous ». La meilleure façon de regagner sa souveraineté, insiste-t-il, est de réduire son déficit.

Le fil rouge du débat est la responsabilité envers les générations futures. Rudy Aernoudt est catégorique : « C'est surtout grave pour les gens après nous ». Face à une dette, il n'y a que trois options : l'inflation, le remboursement ou la transmission. « C'est ce qu'on est en train de faire. On est en train de cumuler les dettes [...] et on donne ça aux futures générations. Pour moi, c'est une question irresponsable ».

2. Dépenses publiques : faut-il tailler dans le vif ou repenser le périmètre de l'État ?

Avec des prélèvements obligatoires avoisinant 55 % du PIB, la Belgique est un poids lourd européen. Pour Rudy Aernoudt, le problème est clair : « Trop d'État tue l'État ». Il soutient que ce niveau de dépenses n'est pas synonyme d'efficacité, citant l'enseignement ou les dépenses sociales qui ne parviennent pas à endiguer la pauvreté. Il prône un État « clean and mean, efficace » et n'hésite pas à cibler la fonction publique, jugée pléthorique, et les abus dans les dépenses sociales.

Étienne de Callataÿ, tout en reconnaissant la possibilité de réduire les dépenses, prévient qu'il est illusoire de croire que l'on ne coupera que dans le « gaspillage ». Toucher aux grands postes comme les soins de santé ou les pensions « fera des victimes » et nécessitera des arbitrages sociétaux pénibles. Il ose une question choc pour illustrer son propos : « Est-ce qu'une prothèse de hanche pour quelqu'un de 88 ans a du sens ? ».

Philippe Defeyt propose une troisième voie : repenser le périmètre de l'État en basculant d'un financement par le contribuable à un financement par l'utilisateur. « Dans beaucoup de pays, les autoroutes sont payées par l'utilisateur, ça a un gros avantage, l'utilisateur est responsabilisé », explique-t-il. Ce principe pourrait s'appliquer à d'autres domaines, allégeant la charge collective tout en créant un système plus juste.

3. Réforme fiscale : entre érosion silencieuse et solutions radicales

Comment en est-on arrivé là ? Philippe Defeyt met en lumière une « érosion organisée des revenus du travail ». Il explique : « Ça fait plusieurs années que, structurellement, les revenus du travail rapportent moins de cotisations sociales et d'impôts directs ». Il cite l'exemple des sociétés de management, qui permettent une double économie, fiscale et sociale, créant une rupture d'équité. Selon lui, le défi n'est pas tant d'augmenter les impôts que d'arrêter cette érosion. « Si on gardait jusque 2029 la même pression fiscale qu'aujourd'hui, la moitié du problème budgétaire serait résolu », révèle-t-il.

Face à ce constat, des solutions radicales émergent. Rudy Aernoudt se fait le défenseur d'une flat tax : « Moi je suis un grand fan du flat tax. On fixe un tarif et ce tarif on le met sur l'ensemble des revenus ». L'objectif est une simplification extrême et une clarification du système.

Philippe Defeyt avance une autre proposition disruptive : une cotisation universelle pour financer les soins de santé. Cette « flat tax pour les soins de santé », assise sur tous les revenus (travail, capital, immobilier), offrirait une lisibilité totale et permettrait mécaniquement de « baisser du jour au lendemain la fiscalité sur le travail ».

4. Le blocage institutionnel : l'impossible simplification ?

Tous les experts s'accordent sur un point : la complexité du système belge est un frein majeur. « Regarde la déclaration fiscale, on a 880 lignes. Aux Pays-Bas c'est une bonne dizaine », lance Rudy Aernoudt. Cette complexité a un coût direct, avec un nombre de fonctionnaires du fisc aussi élevé en Belgique qu'aux Pays-Bas, pourtant 60 % plus peuplé.

Le principal obstacle à toute rationalisation demeure le système institutionnel. La fragmentation des compétences empêche une approche cohérente, comme l'illustre le cas des aides aux familles, partagées entre le fédéral (fiscal) et les régions (allocations). « Malheureusement, en Belgique, c'est juste impossible, alors même qu'on a des coalitions miroirs », regrette Philippe Defeyt. Cette complexité est aggravée par la divergence réglementaire, comme le souligne Etienne de Callataÿ avec l'exemple des titres-services, où les entreprises doivent jongler avec trois législations différentes.

Décryptage pour la profession : anticiper les secousses à venir

  • Signal stratégique : La pression pour une réforme fiscale et sociale d'envergure va s'intensifier. Les débats sur l'équité entre les différents régimes de revenus (salariés, indépendants, sociétés) ne font que commencer. Les experts-comptables doivent anticiper des changements visant à élargir l'assiette fiscale et sociale.
  • Point d'attention réglementaire : Les structures d'optimisation comme les sociétés de management sont clairement dans le viseur. Philippe Defeyt a été particulièrement incisif sur le sujet, dénonçant une rupture d'équité. Les professionnels du chiffre doivent conseiller leurs clients avec prudence sur ces montages, dont la pérennité est de plus en plus questionnée.
  • La simplification, un enjeu vital : Loin d'être une opportunité, la complexité est une menace. Le président de l'Ordre, Emmanuel Degrève, a fermement rappelé que « l'Ordre des experts-comptables est hyper demandeur de simplification ». Le secteur est au bord de l'asphyxie, détourné de sa mission de conseil par des obligations « tout simplement insurmontables ».
  • Vision à long terme : L'analyse dépasse la simple législature. Les projections démographiques et budgétaires montrent une trajectoire insoutenable. Les entreprises et leurs conseillers doivent intégrer cette instabilité macro-économique dans leur planification stratégique.

Conclusion : Un débat essentiel pour éclairer l'action

Cette confrontation d'idées a parfaitement illustré la complexité du défi budgétaire belge. La densité des analyses et la franchise des intervenants ont permis de dépasser les postures pour toucher au cœur du problème. Loin d'être une discussion théorique, ce débat conditionne directement le cadre fiscal, social et économique dans lequel les entreprises et les professions libérales évolueront demain. Suivre l'ensemble des émissions oFFFcourse s'avère donc indispensable pour tout professionnel soucieux d'anticiper les transformations à venir et de conseiller ses clients avec pertinence.

Mots clés