Le samedi 29 juin 2025, les ministres des Finances du G7 ont annoncé avoir trouvé un terrain d’entente avec les États-Unis sur l’application du pilier 2 de la réforme fiscale internationale de l’OCDE. Ce compromis, conclu à huis clos, suscite déjà une vive controverse au sein de la communauté fiscale internationale. Il pose une question fondamentale : peut-on maintenir un système fiscal mondial cohérent lorsque la première puissance économique mondiale obtient un régime d’exception ?
Selon le communiqué du G7 et les précisions apportées par le secrétaire au Trésor américain Scott Bessent, les États-Unis seraient exclus de l’application des règles dites IIR (Income Inclusion Rule) et UTPR (Undertaxed Profits Rule) prévues par le pilier 2. Ce modèle dit “side-by-side” prévoit que les groupes américains resteront uniquement soumis à la fiscalité interne des États-Unis (notamment le régime GILTI), sans subir les “top-up taxes” dans les juridictions qui ont mis en œuvre le pilier 2.
En contrepartie, Washington s’engage à retirer la section 899 de sa législation budgétaire — surnommée “revenge tax” — qui aurait permis l’instauration de taxes de représailles sur les investissements étrangers en cas de traitement jugé discriminatoire à l’encontre de groupes américains.
Ce compromis constitue une victoire stratégique pour les États-Unis, qui obtiennent une exonération de facto du pilier 2, tout en évitant l’isolement diplomatique. D’après le Trésor américain, cette exemption permettra aux groupes américains d’économiser environ 100 milliards de dollars de taxes étrangères sur la prochaine décennie. À la suite de cette annonce, les présidents des commissions des finances du Congrès ont confirmé leur intention de retirer la section 899 du projet de loi budgétaire.
La Secrétaire générale adjointe de l’OCDE, Manal Corwin, a toutefois précisé que cet accord politique du G7 n’a pas encore de portée contraignante. Toute modification du cadre technique devra être validée au sein de l’Inclusive Framework, qui regroupe 147 juridictions. Une clarification de la position commune est attendue lors de la prochaine réunion de l’OCDE.
D’un point de vue technique, le régime side-by-side constitue une rupture profonde avec le principe d’universalité des règles du pilier 2. Il entérine une forme de bifurcation du droit fiscal international : les groupes non américains restent soumis aux “top-up taxes”, tandis que les groupes américains bénéficient d’une immunité fondée sur une reconnaissance unilatérale de l’équivalence du régime GILTI avec le pilier 2. Or, cette équivalence fait débat, tant GILTI repose sur un calcul en base mondiale (blended) alors que le pilier 2 impose un test juridictionnel.
L’Union européenne, qui a transposé sans réserve les règles OCDE dans la directive (UE) 2022/2523, se retrouve dès lors en situation de désavantage concurrentiel. Le Tax Justice Network n’a pas hésité à qualifier cet accord de “capitulation précipitée”, dénonçant une “légalisation d’un traitement fiscal préférentiel” pour les multinationales américaines.
Pour les praticiens européens, cette évolution soulève deux enjeux majeurs.
D’abord, celui de la loyauté fiscale. L’Union européenne a soutenu — et parfois imposé — l’application du pilier 2 dans tous les États membres dès 2024. Admettre aujourd’hui une exception américaine reviendrait à légitimer un déséquilibre structurel au détriment des groupes européens.
Ensuite, celui de la stratégie politique. Faut-il continuer à soutenir un mécanisme fiscal international dont les règles sont visiblement à géométrie variable ? Certains commentateurs n’hésitent pas à comparer cette situation à celle du régime FATCA, que les États-Unis ont imposé au monde entier tout en refusant eux-mêmes l’échange réciproque d’informations.
Dès lors, plusieurs voix s’élèvent déjà pour demander à la Commission européenne une réévaluation du pilier 2 et, si nécessaire, la suspension de son application unilatérale dans l’attente d’un traitement équitable pour tous les acteurs économiques.
L’accord G7–États-Unis marque un tournant. Derrière les subtilités techniques du régime “side-by-side” se profile une question de fond : un système fiscal international peut-il reposer sur des règles communes si certaines puissances s’en affranchissent ? Le consensus du pilier 2, déjà fragilisé par les tensions nord-sud et les débats à l’ONU, risque d’en sortir durablement affaibli.
Pour l’Union européenne, l’heure est venue d’affirmer une vision cohérente de la souveraineté fiscale, à la hauteur des enjeux économiques et démocratiques. Soit en assumant pleinement son engagement multilatéral, soit en plaidant pour un rééquilibrage des règles au sein de l’OCDE. À défaut, l’Europe devra se résoudre à adapter sa position stratégique — et peut-être, à repenser son soutien à un pilier 2 qui ne repose plus sur l’universalité.