En Belgique, il est courant d’entendre dire que les plus-values sur actions ne sont pas taxables dans le chef des personnes physiques. Notre pays est d’ailleurs souvent considéré comme un paradis fiscal à cet égard, la plupart de nos voisins taxant en effet de manière générale de telles opérations.
Il est clair que le sujet figure en bonne place dans les discussions de formation de la prochaine coalition.
La « Supernota » de Bart de Wever contient en effet un projet de taxation généralisée des plus-values sur actions réalisées par des personnes physiques, au taux de 10 %, avec immunisation des plus-values réalisées antérieurement à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi (et donc un « clichage de la valeur des actions cédées à cette date), une exemption annuelle à concurrence de 6000 € et une immunisation (visant essentiellement les cessions de parts de PME) des plus-values réalisées à concurrence d’un chiffre qui a varié de 2.500.000 € à 6.000.000 € au fil des fuites sur les discussions en cours.
Les discours politiques enflammés qui ont suivi la communication du projet laissent quelque peu perplexe l’avocat fiscaliste que je suis.
En effet, on peut classer ces discours en deux catégories.
La première est celle des partisans d’une taxation qui s’appuient sur l’injustice absolue ressentie vraisemblablement par tous ceux qui n’ont pas la chance de pouvoir en réaliser et qui trouvent scandaleux qu’une partie de la population, qui, elle, est en mesure d’en bénéficier, perçoive ainsi des revenus échappant à toute taxation alors que leurs autres revenus font déjà l’objet d’une pression fiscale intolérable. Jalousie fiscale, quand tu nous tiens …
La seconde catégorie fait observer à la première que celui qui réalise une plus-value sur actions le fait en capitalisant des revenus qui ont déjà été préalablement taxés à l’impôt des sociétés et au précompte mobilier ou réalise une opération dans laquelle le prix de cession est établi sur base de la perspective future de réaliser dans le chef de la société cédée des bénéfices qui seront soumis dans un premier temps à l’impôt des sociétés et ensuite au précompte mobilier sur les dividendes avant de se retrouver éventuellement dans la poche du futur propriétaire des dites actions.
Ces deux raisonnements sont partiellement exacts mais présentent une vision biaisée, tronquée, incomplète et inexacte de la réalité juridique de la matière.
En effet, depuis 2009, le Code des impôts sur les revenus comporte un article 90, 9°, érigeant en principe la taxation au titre de revenus divers, au taux de 33 % des plus-values réalisées par une personne physique lors de la cession de toutes valeurs mobilières. Cet article fait échapper à la taxation les plus-values relevant de la gestion normale d’un patrimoine privé.
La matière n’est pas neuve, puisqu’antérieurement, et depuis 1962, le même principe était déjà prévu dans l’article 90, 1 du Code des impôts sur les revenus.
Affirmer que les plus-values sur actions échappent à toute taxation ou qu’il n’est pas concevable qu’elles soient taxées n’est donc pas exact, ce qui semble avoir échappé à l’ensemble de la classe politique s’exprimant sur le sujet, ce qui semble démontrer que ses membres sont soit mal informés, soit mal conseillés, soit de mauvaise foi.
Pour le surplus, quelques constatations émanant d’un homme de terrain.
Tout d’abord, il est piquant de constater que nombre de partis destinés à former la future coalition ont fait campagne sur l’absence d’établissement de nouveaux impôts et que sur ce plan, ils semblent avoir la mémoire courte, la taxation des plus-values sur actions n’étant pas le seul exemple, dans la mesure où il est également en projet de supprimer ou à tout le moins de durcir un certain nombre de régimes préférentiels comme le VV-PR-bis, la réserve de liquidation ou la possibilité pour les salariés ou les dirigeants d’entreprises de bénéficier de stock-options.
Soit autant de mesures qui augmenteront la pression fiscale des contribuables visés. Les belles promesses préélectorales pèsent donc peu face aux impératifs budgétaires, aux contraintes européennes auxquelles nous sommes soumis et à l’état préoccupant de nos finances publiques.
On pourra également s’étonner du raisonnement d’un futur gouvernement qui d’une part prévoit un certain nombre de mesures fiscales parfaitement imbuvables pour les contribuables investisseurs et dirigeants de PME tout en prétendant encourager l’investissement privé dans ce secteur qui est pourtant le premier employeur du pays et contribue largement à la constitution de notre P.I.B.
Ce qui, reconnaissons-le, est parfaitement contradictoire.
Par ailleurs, force est de constater que les chantres d’une taxation généralisée des plus-values sur actions s’appuient souvent sur le fait que la majeure partie des états européens en font autant tout en oubliant - ou occultant - le fait que la pression fiscale globale dans ces pays est, en règle générale, largement plus faible que celle que nous subissons.
Qu’ils omettent également de mentionner le fait qu’une plus-value n’est jamais acquise, que tout investissement dans une valeur mobilière fait courir un risque économique à l’investisseur et que l’espoir de bénéficier d’une plus-value n’est jamais que le pendant du risque d’encourir une moins-value, dont la déductibilité éventuelle ne figure pas dans le projet.
Plongeons à présent au cœur de la future mesure de taxation des plus-values sur actions, avec toutes les réserves d’usage puisque, rappelons-le, il ne s’agit encore que d’un projet ne faisant pas encore l’objet, à tout le moins, d’un accord de gouvernement.
On ne taxera donc pas les plus-values antérieures à la date d’entrée en vigueur de la future loi.
C’est heureux, bien entendu, mais cela aura pour conséquence nécessaire qu’il faudra déterminer cette valeur.
Pour les titres cotés en bourse, aucune difficulté, il suffira de prendre pour référence le cours à la date retenue.
Mais pour les actions non cotées et notamment pour toutes les actions de sociétés professionnelles ou de PME, l’établissement d’une telle valeur ne pourra que donner lieu à d’innombrables discussions entre les actionnaires concernés et l’administration fiscale, qui auront très vraisemblablement des points de vue très divergents sur le sujet.
Il n’aura enfin pas échappé à l’observateur attentif que si le but de l’adoption d’une telle mesure est de remplir à bref délai les caisses de l’Etat et de participer au nécessaire redressement de nos finances publiques, cela semble mal parti puisque d’une part, seul l’accroissement ultérieur et futur de la valeur des actions entrera dans la base de taxation et que d’autre part les mécanismes d’exonération neutraliseront la taxation de la majeure partie d’entre elles.
De là à en conclure qu’instituer une mesure à l’impact budgétaire symbolique ne relève en fait que d’une démagogie politique manquant de finesse, il n’y a qu’un pas, que nombre de spécialistes ont déjà franchi.